Innovation, Logistique
La logistique est-elle dirigeable ?
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I- Contexte
A l’heure des dérèglements climatiques notables, de la concertation des états autour du sujet de l’épuisement de certaines ressources comme le pétrole ou le charbon, et l’impact environnemental des énergies, toutes les solutions doivent être étudiées. Les besoins de consommation sont en augmentation constante dans les pays développés et notamment à proximité des zones urbaines denses. De nombreuses décisions politiques sont prises, comme la mise en place de Zones à Faible Emission (ZFE), de péages urbains, de taxe carbone…
Les prestataires et organisateurs de transport doivent ainsi se repenser pour allier performance et durabilité de leur services. Et cet effort, qu’il soit porté par les politiques ou les professionnels du secteur, doit préserver des emplois (représentant près de 10% de la population active en France) et une capacité de service, en essayant de combiner les solutions existantes. Le transport multimodal ou combiné permet ainsi de préserver l’activité existante en étant plus efficace sur l’impact environnemental, en augmentant la capacité d’emport sur de longues distances et en répartissant mieux le fret parmi les opérateurs.
Mais s’il existait encore d’autres possibilités que les grands classiques : route, fer, fluvial ?
L’utilisation des dirigeables précède celle de l’aérien avec une capacité de transport importante et une performance non négligeable pour le déplacement. Avec l’évolution des technologies, l’offre se situe entre le maritime et l’aérien puisqu’un dirigeable peut transporter plusieurs centaines de tonnes de fret et s’adapte à de nombreux types de produits. L’étude de ce mode pour la livraison moderne des réseaux urbains commence ainsi à faire son chemin.
II. Synthèse AFT
Un demi-siècle d’avancées technologiques sur le plan aéronautique a permis à ce mode de transport de retrouver un tout nouvel usage, même si des cas existent déjà sur un certain nombre d’activités, à petite échelle. Les dirigeables apportent un certain nombre d’avantages en termes de mise en oeuvre, comparativement aux modes de transport existants. D’une part, le besoin d’infrastructures est quasi inexistant. A partir du moment où ils sont mis en service, ils ont une forte capacité de vol, notamment stationnaire, et peuvent se poser au sol à la verticale avec un minimum d’espace pour le chargement et déchargement. Ils disposent d’une capacité de transport d’environ 250 tonnes de fret, avec la possibilité de se poser à la verticale, sur tout emplacement terrestre qui le permettrait.
En termes de vélocité, ces engins peuvent voler jusqu’à 160 km/h en moyenne, et sont ainsi largement compétitifs face au transport routier sur de longues distances. A cela s’ajoute une autonomie de vol pouvant aller jusqu’à 9 000 km, à environ 2 000 m d’altitude. Une altitude de vol qui permet d’ailleurs de ne pas être en interférence avec le fret aérien classique. En termes d’énergie, ils sont alimentés par un gaz rare : l’hélium. Le coût d’acquisition est relativement élevé mais comparativement à l’usage et l’avitaillement (environ une fois par an), il revient à un coût très compétitif à la tonne x kilomètre soit entre 0,15 et 0,35 € t.km selon les conditions d’exploitation (hors coût conception et infrastructure).
Une capacité de transport entre l'aérien et le maritime, pour un coût d'exploitation compétitif.
Pour ce qui est des usages, le fret par dirigeable peut concerner de nombreux types de produits, qu’ils soient volumineux (véhicules, conteneurs, infrastructure hospitalière d’urgence, etc.), en vrac ou dangereux. Des vols ont également concerné le transport de nourriture et productions agricoles. Les aéronefs sont particulièrement utilisés pour des situations d’urgence, au dessus de zones inaccessibles par voie terrestre, lors d’un incendie, à très haute altitude (ex. : extraction forestière) ou suite à une catastrophe naturelle. Ils présentent ainsi des particularités intéressantes en comparaison des autres moyens.
L’un des inconvénients, qui reste cependant à considérer sur le moyen / long terme, est que l’énergie exploitée, l’hélium, est justement un gaz rare sur Terre. Et bien qu’il soit décarboné et non polluant en comparaison des autres modes de transport (y compris l’électrique si l’on considère l’impact du nucléaire sur l’environnement), il ne représente que 2% des volumes de gaz naturel que contiennent les sites d’extraction de la planète. Par ailleurs, il s’agit d’un gaz aux propriétés essentielles pour un usage réfrigérant donc souvent médical ou adapté aux technologies de pointe. Il est impossible à recycler dès lors qu’il se disperse dans l’atmosphère, du moins à ce jour et avec les moyens existants.
III. Perspectives pour la logistique
Des prestataires logistiques spécialisés sont déjà en train d’établir des accords ou réfléchir aux usages des dirigeables pour répondre à la problématique des flux, notamment sur les longues distances. Pour l’instant les trafics identifiés en France se positionnent surtout sur des segments interprofessionnels, avec des secteurs tels que l’aéronautique, la défense, l’énergie… qui ne ciblent pas directement les consommateurs finaux. L’usage des dirigeables sur ce type d’activité permet à la fois d’éviter les congestions de trafic, les ruptures de charges intermodes et fonctionner sans interaction ou presque avec les autres modes ou infrastructures. Il n’entre également pas en conflit avec les autres appareils aériens.
Cependant, l’usage est encore peu fréquent ou peu démocratisé donc les coûts d’investissement restent importants et il faut disposer d’espace à proximité des points de chargement ou déchargement pour faciliter l’approche de ces engins. Cette approche n’est donc à ce jour pas encore facilitée pour les milieux urbains et impliquent une opération multimodale avec les opérateurs de la logistique du dernier kilomètre (camions ou autres modes routiers), ce qui réduit quelque peu la compétitivité du dirigeable sur une opération de bout-en-bout.
Mais le projet est à l’étude par les plus gros distributeurs mondiaux, tels qu’Amazon ou Walmart, qui vont jusqu’à déposer des brevets technologiques, qui tendrait à indiquer qu’ils envisagent de transformer ces géants en plateforme volantes pour de la livraison par drone, plus adaptée aux évolutions du e-commerce et de la consommation personnalisée. Ce type de projet n’est pas encore testé en France, mais ce n’est peut-être qu’une question de temps.
Dernier enjeu et non des moindres de ce mode de transport : l’énergie et sa viabilité dans le temps, pour ne pas devenir une nouvelle ressource en tension du secteur de la mobilité.
Sources
- Document Conseil National des Transports – Transport de marchandises par Dirigeables Gros Porteurs Autonomes (DGPA)
- Article Transportissimo – Idea et Flying Whales s’associent pour l’avenir
- Article Le Monde - Le ballon dirigeable, une solution d’avenir pour le transport de marchandises ?
- Article Portail Aviation – Après Amazon, Walmart s’intéresse aux dirigeables
- Article Le Devoir – L’helium, gaz que l’on consomme inconsidérément