Innovation, Logistique, Nouvelle économie, Transport
La distribution express est-elle règlementaire ?
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1. Contexte
Depuis quelques années, les nouveaux canaux de distribution ont fortement évolué pour atteindre les consommateurs finaux de façon diverse et variée. Entre la proximité, la spécialisation des produits, la livraison à domicile et le temps de traitement d’une commande, tous les moyens sont bons pour offrir aux clients un service plus rapide qu’auparavant.
Mais ces nouvelles pratiques ont une incidence sur la compétition du secteur, les conditions d’exercice de certains métiers et la diversité des produits mis à disposition. Chaque modèle à ses spécificités et n’est viable que s’il répond à un certain nombre de contraintes. Pour la ville de Paris et sa métropole par exemple, les effets de mode de certains concepts (vélos et trottinettes électriques en libre-service) ont vu une forte compétition entre acteurs dans un premier temps pour se réduire à quelques acteurs ensuite, en stabilisant l’offre de marché au passage.
La distribution express n’y fait donc pas exception puisque plusieurs acteurs semblables se sont rapidement mis en place en milieu urbain, certains plus visibles que d’autres. Avec un modèle économique et social très spécifique, les premières années de service permettent aujourd’hui d’avoir un peu de recul sur la création réelle d’emplois, les conditions d’exercice et les services apportés en comparaison de l’offre qui existait auparavant.
C’est la raison pour laquelle des mairies se positionnent pour faciliter ou critiquer l’existence de certaines plateformes de distribution, l’existence et le fonctionnement des dark kitchen, etc. Une jurisprudence a également marqué les esprits en France avec la condamnation de Deliveroo France en mars 2022. Comment se présente l’évolution de ces nouveaux acteurs au regard de ces éléments ?
2. Synthèse AFT
Une distribution express, qu’est-ce que c’est ?
Au départ, c’est un service qui vise à rendre accessible et disponible des produits de grande consommation, beaucoup plus rapidement pour le consommateur final et notamment en réduisant ses temps de transport pour acquérir ces produits. Dans la pratique, ce sont des acteurs qui ont racheté de nombreux anciens petits commerces, bureaux et autres locaux abandonnés, de préférence au rez-de-chaussée d’un bâtiment en centre-ville.
Pour être le plus compétitif possible, la rénovation de ces infrastructures se limite au minimum : quelques étagères, un coup de peinture, des opérateurs et un numéro de téléphone. En disposant d’un mini stock de produits essentiels ou préidentifiés à la typologie des consommateurs de proximité, cela permet alors de préparer des commandes pour une remise en mains propres (drive piéton) ou une livraison à domicile (ex. : Just Eat ou Deliveroo).
Quels sont les problèmes potentiels de ce modèle économique ?
Au-delà de l’aspect le plus visible et connu des consommateurs, c’est-à-dire les livreurs, il y a également un cadre règlementaire obligatoire pour toute entreprise cherchant à s’implanter. La protection sociale par exemple, permet de s’assurer que tous les opérateurs, qu’ils soient préparateurs de commande ou livreurs, perçoivent un salaire juste, sont protégés par le cadre du travail, ont des temps de repos établis, etc.
Il y a ensuite, de façon moins visible, le respect des autorisations établies par la direction de l’urbanisme de la ville et le cadre de concurrence déloyale. Car en effet, si une enseigne s’établit en tant qu’entrepôt, ce ne sont pas les mêmes charges qu’un point de vente ou un logement qui s’appliquent. Il y a également des contraintes de sécurité et d’aménagement à respecter même dans le cas où l’autorisation est obtenue, ce qui implique un minimum de travaux à mettre en œuvre après l’acquisition d’un emplacement qui n’était initialement pas prévu pour un dark store ou autre format de distribution express.
Comment ces différences affectent la ville ou les consommateurs ?
Au-delà des sanctions économiques et des charges non perçues par les autorités en échange de leur présence dans un quartier, les acteurs de la distribution express perturbent le bon fonctionnement de la ville. L’apparition d’un grand nombre de scooters, vélos et autres véhicules de distribution rapide, par exemple pour occuper les trottoirs, une nuisance sonore non prévue sur des créneaux horaires tardifs dans la nuit, etc.
La forte compétitivité des prix de ce modèle, avec de faibles coûts d’investissement initial et le non-respect de loyers comparables avec des petits commerces ou superettes de quartier, va également mettre en péril ces commerces traditionnels, pourtant en règle, avant de se voir sanctionnés économiquement. Il y a donc, le temps que les contrôles et la justice intervienne, un risque de voir non seulement disparaître d’autres commerçants et leurs produits, mais tout service de proximité si par la suite un point de vente express vient à fermer par décision de justice.
Est-ce que tous les distributeurs express sont dans ce cas de figure ?
Fort heureusement non. C’est probablement ce qui va mener à la stabilisation du marché par ailleurs, avec un marché établi autour de quelques enseignes seulement, qui auront assuré leur offre dans les règles ou à partir d’un réseau préexistant de points de vente (ex. : Leclerc et Auchan). Il convient de distinguer les spécificités de chaque modèle :
- Le « Drive piéton » accolé à un commerce existant est totalement légal puisqu’il s’agit d’un commerce établi comme tel et respectant normalement le Plan Local d’Urbanisme (PLU)
- Le « Drive piéton solo » en revanche, pourrait se voir interdire puisqu’il s’agit d’une activité d’entreposage
- Les Dark kitchen sont reconnues comme une activité artisanale, de par la fabrication sur place de plats, et doivent s’assurer d’en respecter les conditions, telles que définies par la nomemnclature des métiers de l’artisanat
- Les Dark Store sont également reconnus comme une activité d’entreposage, et leur localisation est interdite dans les immeubles d’habitation.
Pour chacun de ces cas de figure, les règles de sécurité et de salubrité s’appliquent, tout comme un enregistrement en règle auprès de la mairie pour que les autorisations soient remises en lien avec les règles d’urbanisme ou la protection des commerces et de l’artisanat.
Il s’agit donc d’un chantier qui ne fait que débuter pour les collectivités, qui devront contrôler au cas par cas, à la construction ou suite à un transfert d’adresse, les différents points de distribution qui s’installent dans la ville.
3. Perspectives pour la logistique
Tandis que le cadre règlementaire est étudié pour définir si ces nouveaux acteurs correspondent ou non aux règles d’implantation, les services aux consommateurs finaux sont eux bien en place. Avec l’expansion du e-commerce et le changement des pratiques qui s’est amplifié suite à la crise Covid-19, il sera compliqué pour les consommateurs de voir disparaître certaines offres de service de proximité.
Même si cela peut rassurer les acteurs traditionnels de la distribution, cela prend du temps, n’a pas vocation à faire disparaître tous les acteurs de la distribution express et encore moins leur offre de service. Cela explique la mise en place de nombreux Drive piéton par des grandes enseignes ou le maintien du Click & collect pour les commerçants et restaurants.
D’un point de vue logistique, c’est un cadre règlementaire plus strict pour les opérations, qui implique notamment un espace moindre (ex. : moins du tiers de la surface totale du point de vente peut être dédié au stockage selon le PLU de la ville de Paris). Or, pour être efficace il faut non seulement la rapidité mais la disponibilité des produits. Cela explique le besoin de technologies comme l’intelligence artificielle pour s’assurer de stocker les bons produits (les plus consommés et commandés par les clients de proximité) ainsi que de livrer efficacement (organiser les tournées en connaissance des habitudes client).
La bonne nouvelle côté opérateurs logistiques et de livraison ; ce sont les protections sociales qui devraient être renforcées, tout comme les conditions d’exercice et la sécurité des locaux dans lesquels ils se verront travailler. En revanche, une augmentation de fait du coût horaire de ces personnels, ou l’obligation de salarier les salariés (vs le statut d’auto-entrepreneur jusqu’ici largement défendu) va augmenter les charges des plateformes de distribution et donc limiter le nombre de collaborateurs.
Comme les enjeux économiques restent importants, cela risque d’augmenter les cadences et attentes auprès de ces personnels donc d’entretenir un cadre de travail éprouvant… qu’il conviendra de suivre de près dans les mois à venir, grâce aux études régulièrement menées auprès de ces personnels.
Définitions :
Drive piéton : consiste à récupérer ses courses, soit directement dans le commerce en question, dans les magasins de taille moyenne en ville, ou dans un local commercial, propriété du commerce, dédié exclusivement à ce mode de retrait.
Dark store : type de commerce de détail fondé sur la livraison de produits de consommation courante, commandés depuis une application en ligne. Il s’agit d’entrepôts fermés au public où s’effectue la préparation des commandes passées par Internet.
Plan Local d’Urbanisme (PLU) : document d'urbanisme qui, à l'échelle du groupement de communes ou de la commune, traduit un projet global d'aménagement et d'urbanisme et fixe en conséquence les règles d'aménagement et d'utilisation des sols.
Dark kitchen : vocable anglais pour désigner des restaurants « virtuels » ou « cuisines fantômes », accessibles uniquement en ligne via des plateformes de livraison de nourriture sur Internet.
Sources
- Article LeMonde.fr – Une étude clarifie le statut des dark stores et des drive piétons à Paris
- Article LeMonde.fr – Les villes haussent le ton contre les courses express
- Etude APUR – Drive piétons, Dark kitchen, Dark stores
- Article L’express – La course effrénée de la livraison express
- Article Medium.com – Deliveroo utilise maintenant l’intelligence artificielle pour optimiser ses livraisons