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Innovation et environnement : l’envol vers la décarbonation du transport aérien

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Dans le domaine du transport, l’aérien est souvent critiqué pour son impact environnemental. Certaines personnes, particulièrement soucieuses de réduire leur empreinte carbone, telles que l’emblématique Greta Thunberg, ont même décidé de renoncer à se déplacer en avion pour limiter leur contribution au réchauffement climatique.

Le sentiment de culpabilité lié aux voyages en avion est relativement vif au sein de la population suédoise : le terme de flygskam y est né pour désigner la honte de prendre l’avion, qui est responsable de la baisse du trafic aérien de la Suède ces dernières années. [1]

Ce mouvement se répand dans le reste de l’Europe, où la croissance du nombre de voyages en avion a fléchi dès 2019. Il contribue également à des prises de décisions politiques qui conduisent à supprimer des lignes aériennes domestiques lorsqu’il existe une alternative ferroviaire, ou à abandonner des projets d’extension ou création d’aéroports. Dans ces conditions, le transport aérien se doit de réduire son empreinte environnementale rapidement.

Un des enjeux majeurs pour accomplir cet objectif réside dans le développement et l’implémentation de nouvelles technologies permettant de réduire sensiblement les émissions de gaz à effet de serre liées au transport aérien. De nombreuses pistes sont explorées, et d’autres sont envisagées sur le plus long terme, afin de décarboner le secteur. Cette transition mobilise des technologies qui offrent également des perspectives de décarbonation au transport routier.  
 

Quelle est la part de responsabilité actuelle du transport aérien dans le réchauffement climatique ?

Le transport aérien représenterait 1% du fret commercial mondial en volume selon l’IATA (Association du transport aérien international), mais 35% en termes de valeurs de bien transportés. [2] Bien souvent le transport aérien est sollicité lorsque le besoin d’un transport rapide et sûr est nécessaire. La pandémie en a constitué une bonne illustration, avec notamment la mise en place de lignes aériennes pour l’acheminement d’équipements médicaux, entraînant une hausse de 14,9% du marché du fret aérien, ce qui a représenté 147,7 milliards de dollars en 2020.


La contribution du transport aérien au réchauffement climatique est principalement due à deux facteurs. D’une part, la vapeur d’eau résultant des traînées blanches de condensation va favoriser l’apparition de nuages cirrus qui réchauffent la surface de la Terre. D’autre part, le rejet en altitude d’oxyde d’azote par les réacteurs augmente la concentration d’ozone et de méthane, deux puissants gaz à effet de serre. 
Dans ce contexte, des efforts sont entrepris pour décarboner le secteur et réduire son impact environnemental. 

Quelles solutions innovantes sont mises en place aujourd’hui pour réduire l’empreinte carbone du transport aérien ?

De nombreuses expérimentations et innovations sont développées pour rendre le transport aérien plus durable et responsable, et ainsi réduire son empreinte carbone. 

  • Les biocarburants

L’utilisation de biocarburant ou biokérosène est un axe majeur d’étude dans le cadre de la réduction de l’impact environnemental du transport aérien. Son utilisation est encore aujourd’hui très limitée et les premiers essais commencent à être menés. 
Le 18 mai 2021, la compagnie aérienne Air France a mené son premier vol long-courrier avec du carburant d’aviation dit durable produit à partir d’huile de cuisson à la bioraffinerie de la Mède en France. [3] Ce vol fait suite à d’autres expérimentations menées en amont notamment par KLM qui a réalisé le plus long vol avec 20% de biocarburant à base d’huile de cuisson en 2014, ou encore la mise en place de vols hebdomadaires Blagnac-Orly de 2014 à 2016 par Air France qui embarquent du biocarburant.  


Ces biocarburants, parfois appelés SAF (Substainable Aviation Fuel), vont tendre à se généraliser, notamment pour donner suite à la publication de la feuille de route française pour le déploiement des biocarburants aéronautiques durables. [4] Celle-ci fixe un objectif de substitution de 1% de carburant fossile d’aviation d’ici le 1er janvier 2022, puis de 2% en 2025, jusqu’à atteindre 5% à l’horizon 2030. L’objectif final sur le long terme étant de substituer 50% de carburant conventionnel par du biocarburant d’ici 2050. Ces biocarburants doivent être certifiés et provenir d’origine spécifique : algues, biodéchets, fraction de biomasse, huile de cuisson ou graisses animales.


L’utilisation de biocarburant doit répondre en plus à certains critères fondamentaux spécifiques: continuer à assurer un niveau optimal de sureté des vols, s’assurer de la durabilité de ces nouveaux carburants d’aviation produits en France, s’assurer de la viabilité économique de ceux-ci, s’assurer de la mise en place de chaînes logistiques économes pour assurer le transport de ces nouveaux carburants, et enfin s’assurer de la cohérence avec les initiatives supranationales. Il est à noter cependant que les carburants d’aviation durable sont actuellement deux fois plus chers que les carburants d’aviation d'origine fossile. 

  • Le renouvellement des flottes

Le renouvellement des flottes des compagnies aériennes est également un élément majeur à prendre en compte lorsqu’il s’agit de réduire l’impact environnemental du transport aérien. En effet, les progrès accomplis en matière de motorisation, aérodynamisme, ou encore dans l’utilisation de matériaux, notamment l’utilisation privilégiée de matériaux composites, permettent aux avions de dernière génération de consommer moins de carburant que ceux de générations précédentes. Cela a donc un impact fortement positif sur le rejet de polluants dans notre atmosphère par le transport aérien. 


C’est la raison pour laquelle Air-France-KLM a décidé, en 2020, de l’arrêt de l’exploitation de son plus gros porteur mis en service en 2009, l’Airbus A380, qui souffrait également d’un problème de rentabilité, mais aussi de ses autres quadriréacteurs, tel que l’Airbus A340. [5] Ces avions destinés aux long-courriers sont remplacés par des Airbus A350 ou des Boeing 787 de nouvelle génération permettant de consommer 20% à 25% de carburant en moins par siège par rapport aux A380. De la même manière, la flotte court et moyen-courrier d’Air France est aussi en cours de renouvellement avec le remplacement progressif des A318 et A319 par les nouveaux Airbus A220-300, qui consomment moins de carburant. 

Le renouvellement de la flotte Air France a été particulièrement accéléré par les engagements de la compagnie sur sa rentabilité et sur son impact environnemental auprès de l’Etat français avec pour objectif de réduire 50% des émissions de CO2 sur ses vols intérieurs et ce, d’ici 2024. [6]

  • Logiciels embarqués et systèmes avioniques

Le transport aérien est très avancé en matière de logiciel embarqué affectant aussi bien la navigabilité, la charge de travail du pilote mais aussi la sureté et la sécurité d’un vol. Ainsi, chaque avion commercial est aujourd’hui équipé de systèmes de gestion de vols (FMS – Flight Management System) dont le but est d’assister les pilotes en fournissant des informations sur la navigation, la trajectoire, le plan de vol ou encore la consommation de carburant.


De nouveaux logiciels sont développés pour permettre d’intégrer les dernières technologies de pointe et permettre une meilleure efficacité dans la prise de décision, mais aussi une optimisation de la trajectoire de l’avion, induisant une réduction significative de la consommation de carburant. C’est le cas du nouveau système de gestion de vol PureFlyt, développé par Thalès, qui est conçu pour réduire la charge de travail du pilote lui permettant une focalisation de l’attention sur des éléments plus critiques en phases d’approche et de décollage. [7] La connexion à des données extérieures comme des données météorologiques permet d’optimiser les vols et réduire aussi bien la pollution environnementale que la pollution sonore.

La solution PureFlyt est associée à une réduction de 3 à 4% d’émissions de CO2 par rapport à un avion équipé d’un système de gestion de vol plus classique.

Quelles sont les futures innovations potentielles pour continuer à décarboner le secteur dans les années à venir ?

Des technologies innovantes sont en cours de développement et seront peut-être amenées à équiper la totalité des avions sur le long terme pour un transport aérien plus soutenable.

 

  • L’Hydrogène

L’hydrogène figure actuellement parmi l’un des meilleurs candidats pour décarboner l’aviation de demain et il est privilégié par de nombreux constructeurs pour réduire l’impact environnemental du transport aérien. Cette technologie est donc très prometteuse, tout comme c’est le cas dans le transport routier où de plus en plus de projets liés à l’hydrogène voient le jour.
En septembre 2020, le constructeur français Airbus avait déjà annoncé la volonté de développer un avion fonctionnant à 100% à l’hydrogène à l’horizon 2035. Trois concepts préliminaires d’avions ont déjà été dévoilés par le constructeur : un premier avion équipé de turboréacteurs, un second avion équipé de turbopropulseurs, et un concept d’aile volante. [8] 


Ce dernier concept est sans doute le plus intéressant pour le constructeur car il présente l’avantage d’offrir un espace de stockage plus important et plus optimisé, contrairement aux deux autres concepts plus classiques. En effet, du fait que l’hydrogène possède une énergie massique de combustion très élevée, mais une masse volumique très faible, le volume occupé par l’hydrogène est bien plus important pour une quantité de kérosène équivalente. L’aile volante permet de réduire le rejet de CO2 dans l’atmosphère par l’utilisation de l’hydrogène mais aussi d’étaler les traînées de condensation évoquées auparavant grâce à sa forme particulière, l’utilisation de l’hydrogène ne produisant que de la vapeur d’eau. [9]


Le stockage de l’hydrogène sous forme liquide est encore problématique aujourd’hui, même si cette technologie est déjà utilisée dans le domaine spatial. Un système cryogénique doit être développé pour maintenir l’hydrogène à une température de -270°C, en plus du développement d’une structure de réservoir capable de tenir face aux vibrations et aux chocs. Deux sites de développement de réservoirs à hydrogène liquide sont actuellement mis en place par Airbus à Nantes et à Brême. [10]

 

  • L’Electrique 

La piste de l’hydrogène est aujourd’hui fortement privilégiée pour l’aviation de ligne et pourrait arriver bien plus vite que l’avion entièrement électrique. Le principal frein au développement d’avion de ligne tout électrique est la faible densité énergétique des batteries qui ne fournissent pas assez de puissance pour alimenter la propulsion d’un avion de ligne. [11] Leur poids présente également un inconvénient.


Cependant, en termes de motorisation, la technologie est viable techniquement pour l’aviation de loisir qui propose déjà des aéronefs équipés de motorisation complétement électrique. La société MagniX a par exemple réalisé en 2019 le premier vol à vocation commerciale avec un aéronef complètement électrique. [12]


Concernant l’usage de panneaux photovoltaïques, la production en électricité est bien trop faible pour alimenter de manière autonome des aéronefs destinés à l’aviation de ligne. De plus, ce type d’installation rendrait les appareils encore plus sensibles aux conditions météorologiques, avec des contraintes fortes sur les conditions d’opérabilité, puisqu’il serait dès lors impossible d’opérer par temps de forte couverture nuageuse par exemple. 

Quelles autres alternatives à l’avion existent pour redresser le bilan carbone du transport aérien ?

  • Le dirigeable

De plus en plus de projets de dirigeables modernes voient le jour en tant qu’alternative à l’avion, dans un premier temps pour le transport de fret. Principalement mis de côté à cause de sa lenteur, sa sensibilité météorologique, son encombrement et ses difficultés opérationnelles, le dirigeable a aujourd’hui l’opportunité de faire son retour en offrant une meilleure alternative environnementale à l’avion. En effet, le bilan carbone de l’utilisation d’un dirigeable pour le transport de charges lourdes est bien inférieur à celui de l’avion, et le dirigeable présente l’avantage de pouvoir transporter des marchandises directement de porte à porte, sans rupture de charge, contrairement au transport de fret par avion. 


La société Flying Whales, basée à Bordeaux et en région parisienne, est actuellement à un stade avancé de conception de son dirigeable de transport lourd LCA60T pouvant transporter une charge utile de 60 tonnes, avec un premier vol prévu pour 2024. Il s’agit d’un dirigeable rigide de 150 mètres de long destiné au transport de fret et équipé de 7 points de propulsions hybrides électriques pour un rayon d’action de 1000 km et une vitesse de croisière de 100 km/h. [13] Ce dirigeable est principalement destiné au transport de matériaux pour la construction dans le génie civil par exemple, mais une utilisation humanitaire en cas de désastre naturel est aussi évoquée. 


Son enveloppe contient de l’hélium comme gaz porteur et on peut facilement imaginer un remplacement de l’hélium par de l’hydrogène pour de futurs projets de dirigeables. Ce concept de dirigeable est également capable de vol stationnaire pouvant grandement faciliter la charge et la décharge de sa cargaison. Les 7 points de propulsions hybrides électriques permettent par ailleurs des décollages et des atterrissages verticaux facilitant l’opérabilité de l’appareil puisqu’il ne nécessiterait pas d’infrastructure particulière. Il est également prévu pour les futurs modèles de transiter vers une motorisation complètement électrique pour atteindre un objectif de zéro émission de CO2.


Il n’existe pas encore de réglementation et de certification publiée et dédiée aux dirigeables, hormis la proposition de “Special Condition Gas Airships” à l’EASA (Agence Européenne de la Sécurité Aérienne) en février 2021. [14] Le trafic du dirigeable peut quant à lui être assimilé à un trafic d’aviation général puisqu’il s’agit de machines volant à vue en dessous de 10 000 pieds.

  • Les drones

Initialement destiné à un usage militaire, le drone se présente actuellement comme un sérieux candidat dans le domaine du transport, et plus précisément la livraison du dernier kilomètre, qui est actuellement réservée au transport routier.
En effet, les projets prévoyant cette utilisation précise du drone se multiplient. Amazon est particulièrement avancé dans ce domaine avec sa division Amazon Prime Air qui a reçu l’autorisation d’opérer aux Etats-Unis par la FAA (Administration Fédérale Américaine). [15] Cette autorisation acte le début de tests de livraison par drone en conditions réelles pour l’entreprise américaine, qui se place donc au même niveau qu'Alphabet et UPS. 


Les drones mis en service par Amazon prévoient une livraison de colis d’une masse maximum de 2,3kg en 30 minutes dans un rayon de 12km de ses entrepôts. De plus, ce marché est destiné à prendre de plus en plus d’ampleur, puisque la livraison par drone pourrait représenter à l’horizon 2030 un chiffre d’affaires de 22 milliards d’euros. [16]


La collaboration entre Colis Privé et Survey Copter, une filiale d’Airbus, dans le but de mener à bien un projet d’utilisation de drones pour la livraison, montre également l’importance de cette nouvelle technologie dans le secteur du transport à moyen terme. [17] L’objectif est de réaliser une étude de faisabilité sur le sujet en établissant en particulier la viabilité économique des drones qui permettraient alors de réinventer la logistique de distribution, en rendant accessibles des zones reculées tout en gagnant en rapidité.


La Poste avait par ailleurs déjà mené en 2019 des premiers tests après avoir reçu l’autorisation de la DGAC (Direction Générale de l’Aviation Civile) d’implémenter une ligne de livraison par drone. Il s’agissait alors de faciliter la livraison en région montagneuse avec un gain de temps significatif puisque l’on passait d’une livraison classique en 30 minutes à une livraison par drone en 8 minutes. [18]


Il est indéniable que l’innovation occupe une place importante dans le secteur du transport aérien. Même si le trafic aérien reprend aujourd’hui petit à petit, après le coup d’arrêt engendré par la crise sanitaire, il n’atteindra son niveau et sa croissance antérieurs que si des efforts sont accomplis pour atténuer son impact environnemental.
C’est donc emmené par le développement de nouvelles technologies que le transport aérien pourrait parvenir à se redresser, ouvrant ainsi la porte à un transport respectueux de l’environnement sur le long-terme.

 

Sources :
[1] https://leseclaireurs.canalplus.com/articles/agir/flygskam-la-honte-de-prendre-l-avion-peut-elle-decoller-en-france?tl=fr?tl=fr
[2] IATA - The Value of Air Cargo – 2020
[3] https://www.france24.com/fr/%C3%A9co-tech/20210518-un-premier-vol-long-courrier-%C3%A0-l-huile-de-cuisson-pour-un-avion-d-air-France)
[4]https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Feuille%20de%20route%20fran%C3%A7aise%20pour%20le%20d%C3%A9ploiement%20des%20biocarburants%20a%C3%A9ronautiques%20durables.pdf
[5] https://www.air-journal.fr/2020-10-14-air-france-dit-adieu-a-son-dernier-quadrireacteur-5223267.html
[6] https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/05/21/air-france-abandonne-definitivement-l-exploitation-de-l-a380_6040327_3234.html
[7] https://www.thalesgroup.com/fr/marches/aeronautique/cockpit-equipements-fonctions-avioniques/entrez-le-futur-des-systemes-gestion
[8] https://www.airbus.com/innovation/zero-emission/hydrogen/zeroe.html
[9] https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/avion-nous-sommes-hydrogene-nous-etions-essence-debut-aviation-73099/
[10] https://www.air-journal.fr/2021-06-14-avion-a-hydrogene-airbus-ouvre-deux-centres-de-developpement-zero-emission-pour-fabriquer-des-reservoirs-cryogeniques-5228497.html
[11]https://www.lapresse.ca/actualites/sciences/2020-05-31/le-defi-des-avions-de-ligne-electriques
[12] https://www.magnix.aero/our-story
[13] https://www.flying-whales.com/solution
[14]https://www.easa.europa.eu/sites/default/files/dfu/proposed_special_condition_sc_gas_is.1.pdf
[15] https://www.cnetfrance.fr/news/amazon-prime-air-feu-vert-pour-la-livraison-par-drones-aux-etats-unis-39908797.htm
[16] https://www.cnetfrance.fr/news/la-filiale-de-google-va-debuter-les-livraisons-par-drone-a-helsinki-39884927.htm
[17] https://siecledigital.fr/2021/06/03/colis-prive-et-airbus-travaillent-sur-un-service-de-livraison-par-drone/
[18] https://www.leparisien.fr/economie/en-savoie-la-poste-teste-la-livraison-des-colis-par-drone-une-premiere-en-montagne-30-11-2019-8206371.php


 

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