Innovation, Logistique, Nouvelle économie

Rationalisation, ou amplification des flux logistiques ?

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A l'ère du constat des impacts de l'anthropocène sur notre planète, il est intéressant voire stratégique d'étudier notre performance logistique à l'échelle internationale, et ce que les évolutions technologiques dans le secteur ont permis de réaliser et d'améliorer. Nous avons beaucoup de publications et d'intérêt professionnel pour la performance, l'optimisation et les apports de nouvelles solutions dans les pratiques du secteur, mais sont-elles toujours au rendez-vous de l'impact environnemental ? A partir de quels critères les efforts de rationalisation ont-ils un bénéfice réel sur notre façon de consommer des ressources ou des énergies ?

      1. Contexte

Les entreprises ont toujours cherché à optimiser leurs coûts et maximiser leur rentabilité, quel que soit le secteur d’activité. Mais depuis la prise en compte de la logistique moderne, dans les années 70[1], l’organisation des flux physiques n’a cessé de s’améliorer depuis le fournisseur de matières premières jusqu’au distributeur. Une évolution qui a entraîné une meilleure maîtrise des flux d’information et financiers bien sûr, mais surtout permis l’ultra-personnalisation des flux pour passer d’un modèle ultra-standardisé militaire aux services créés par le e-Commerce de nos jours.

On constate donc à la fois un point de départ qui était la rationalisation des coûts, l’optimisation de l’efficacité en amont des opérations au cœur de l’activité de l’entreprise, vers une extension du périmètre de la logistique et une recherche toujours plus poussée de ce qui peut être optimisé.

Dans les entreprises, les intitulés de poste ont également évolué, puisque de l’opérateur logistique en entrepôt il est possible de gravir les échelons jusqu’au titre de directeur logistique ou Supply Chain manager. Entre la reconnaissance d’une efficacité au service des entreprises et une vision stratégique des possibilités de développement à venir : où s’arrête l’évolution de ce domaine d’expertise et comment cela peut-il encore évoluer à l’ère de la rétractation énergétique ?

 

      2. Synthèse AFT

Dès lors que l’on cherche un parcours de formation, le mot « logistique » n’est aujourd’hui plus un terme obscur, parfois confondu avec d’autres intitulés en « -ique » du développement informatique, ou avec l’expertise spécifique de l’activité transport. Paradoxalement, les cursus de formation vont même désormais jusqu’à parler davantage de Supply Chain, extension encore plus attrayante de ces métiers puisqu’il s’agit de comprendre la chaîne d’approvisionnement de bout en bout.

On constate également qu’il existe désormais plus d’une centaine de cursus en Bac+5/6 et que de nombreuses formations du supérieur intègrent maintenant les termes et concepts de la Supply Chain dans leur programme. Que s’est-il donc passé pour une telle reconnaissance ?

Comme toute évolution de société, celle-ci est multifactorielle. Mais si l’on se focalise sur les aspects les plus propices au développement de la logistique, au niveau international, il est possible de constater un certain nombre d’évolutions.

D’une part, l’évolution des pratiques et des outils ont permis la professionnalisation de ces métiers dédiés aux flux. Au départ internes à l’entreprise, pour une raison évidente de maîtrise des coûts, puis vers les partenaires amont et aval, afin de négocier voire collaborer à une meilleure synergie autour des coûts afférents aux flux générés par la chaîne d’approvisionnement. Il faut toujours prêter une attention acérée à chaque opération, mais garder une vue d’ensemble qui permet des économies d’échelle.

Dans cette perspective, les anciens fournisseurs/clients en compétition sur la négociation de leurs tarifs sont devenus de véritables partenaires pour comprendre les contraintes respectives de l’autre. La relation devient gagnant-gagnant et le développement des outils numériques permet d’atteindre un niveau supérieur de maîtrise sur l’information et les flux physiques. Si l’on connaît les prévisions de vente, on peut anticiper l’effet bull whip sur les commandes et stocks intermédiaires de la chaîne d’approvisionnement. En anticipant au maximum les commandes de matières premières ou l’organisation de la main d’œuvre pour absorber les flux, on réalise également des économies non négligeables sur les coûts de fabrication et d’acheminement.

C’est l’ère de l’opulence, où tout est possible et avec elle la mondialisation. Les plus grands groupes surfent également sur les spécificités géographiques du monde entre proximité de la matière première et coûts d’extraction, ou utilisation d’une main d’œuvre bon marché et des transports pratiquement gratuits en comparaison des distances parcourues.

Pour autant, une constante reste commune à toutes les chaînes d’approvisionnement et tous les professionnels qui vous parlent de leur métier dans la Supply Chain : l’adaptation permanente aux changements. Sur toute cette période la valeur du terrain influence la position des entrepôts, la capacité des marchés fait changer les flux poussés en flux tirés… et l’excellence de la profesionnalisation des métiers logistiques permet la démultiplication des canaux de distribution !

Car c’est par les flux logistiques et l’évolution de l’offre de service au client que le e-Commerce se permet un essor particulièrement efficace. Celui-ci est amplifié par une crise covid qui marque un tournant important dans la démultiplication des flux, en particulier dans les sociétés développées. Est-ce que la logistique serait alors victime de sa propre efficacité ?

Toujours pas, puisque fidèle à cette philosophie d’adaptabilité aux besoins, les prestations logistiques se déclinent, de nouveaux modes de transport voient le jour, les technologies abondent de solutions nouvelles pour accélérer toujours davantage l’information et la distribution.

Aujourd’hui, le nouveau changement majeur, c’est le dérèglement climatique. Comment faire autant, voire plus, avec de moins en moins de ressources ? Est-ce que les énergies arrivent à suivre le rythme ? Si ce n’est pas le cas : quels moyens de contournement existent pour poursuivre l’existence des marchés et des services tels que nous les connaissons ?

Là encore, facteur aggravant de la pénurie énergétique en train de se dessiner : la guerre en Ukraine permet de se rendre compte d’autant plus rapidement à quel point les chaînes d’approvisionnement sont fragiles et de fait, leur pilotage stratégique.

 

      3. Perspectives pour la logistique

Les opérations logistiques sont actuellement soumises à rude épreuve (ne l’ont-elles pas toujours été pour s’adapter aux changements de stratégies ?) puisqu’au-delà de l’inflation des prix de l’énergie, qui affecte le coût opérationnel et la valeur des opérations de transport, il y a aussi une pénurie des personnels (de la conduite comme des opérations logistiques). Secteur longtemps mal perçu ou reconnu par le grand public mais également les chargeurs, qui se souciaient surtout de la guerre des prix dans un contexte ultra-compétitif, il est également pénalisé par des tensions salariales et une pénibilité reconnue par la profession.

Le paradoxe du secteur : des métiers d’entrée accessibles au plus grand nombre, avec une reconnaissance relative et difficile à développer selon les entreprises, et en même temps des évolutions de carrière rapides sont possibles, jusqu’aux plus hauts niveaux de l’entreprise.

L’impact énergétique n’affecte pas uniquement le maillon transport mais l’ensemble des acteurs, avec une inflation importante et qui est annoncée pour durer quelques temps sur les matières premières donc une grande partie des produits de consommation. Dans la continuité de cette augmentation unilatérale des prix sur tous les marchés, cela risque alors de casser la dynamique de croissance, donc la consommation et entraîner une chute de la demande.

Pour essayer d’absorber tout ou partie de ces coûts de production et d’acheminement, également pour des raisons de stratégies politiques, les chaînes d'approvisionnement se relocalisent et se repensent au travers de nouvelles pratiques de fabrication, de nouveaux modes de transport et énergies pour permettre tout cela. Il s’agit donc d’une nouvelle réorganisation majeure des flux, dont le virage doit être pris dans des délais très courts et sur des chaînes internationales, avec des implantations de sites un peu partout dans le monde selon les produits.

Tout va être repensé, de l’utilité des produits et services jusqu’à l’organisation et la relocalisation des sites industriels (ultra-spécialisés et nationalisés actuellement). Rajoutez à ces paramètres de nouvelles règlementations, internationales et nationales pour inclure un maximum d’indicateurs de durabilité, donc prévoir les systèmes de collecte et de calcul de ces informations (i.e. : les critères ESG).

Cela devrait donc être une ère particulièrement critique pour le secteur logistique, qui dans le même temps va y acquérir ses lettres de noblesse. Les responsables de la Supply Chain ne sont-ils pas actuellement les seuls pilotes à bord, pour des grands groupes très proche de l’iceberg qui se présente sous le nez de l’économie mondiale ?

 

Définitions

Effet bull whip : « l'effet coup de fouet » (en français) est un phénomène de la chaîne d'approvisionnement où les commandes aux fournisseurs ont tendance à avoir une plus grande variabilité que celles directement liées aux ventes pour le consommateur final, ce qui se traduit par une variabilité amplifiée de la demande en amont et donc des stocks de sécurité.

ESG : critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, imposés aux grandes entreprises pour leur demander des efforts d’impact durable sur l’environnement et les conditions de travail des salariés.

Sources

 


[1] Le terme existait déjà dans le secteur militaire mais a été développé par la littérature anglo-saxonne notamment autour de cette période.

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